Qu’est-ce que « la période de soudure » ou à Madagascar le « Kere » ?
Dans nos sociétés occidentales et urbanisées voilà une expression qui a sombré dans l'oubli. Comme l’indique Wikipedia : « La soudure est la période précédant les premières récoltes et où le grain de la récolte précédente peut venir à manquer. Il y a alors souvent pénurie et flambée brutale des prix parfois accentuée par la spéculation. ».
A Madagascar, dans un pays où 92% de la population vit (survit) en-dessous du seuil de pauvreté (correspondant selon les normes internationales à un revenu de 2 euros par jour), et entre 40 et 50% des enfants souffrent de malnutrition chronique, cette « période de soudure » revêt une sensibilité particulière.
L’Europe jusqu’à la fin du XVIIIème siècle a connu ces périodes difficiles lorsque les récoltes sont limitées (intempéries, sécheresse…), que l’on survit sur les stocks, puis que ceux-ci sont épuisés avant même les nouvelles récoltes. Ces périodes donnaient ainsi lieu à des émeutes de la faim (comme en 1775 en France « la guerre des farines » ou les « émeutes frumentaires » survenues dans plusieurs pays européens).
A Madagascar, entre la médiocrité du rendement des cultures (particulièrement le rendement du riz cultivé par 90% des 12 millions d’agriculteurs malgaches avec un rendement de seulement 4 à 6 tonnes par an et par hectare), et la récurrence des calamités (intempéries tels les cyclones, pluies diluviennes dans les hauts-plateaux ou sécheresse dans le sud, ou encore invasions de criquets…), cette période de soudure est régulièrement une période très difficile pour la majeure partie de la population. L’alternative est évidemment l’importation de produits alimentaires, un paradoxe coûteux pour un pays comme Madagascar qui devrait être auto-suffisant sur le plan alimentaire si la formation des paysans et les infrastructures étaient adaptés, et une solution inaccessible pour la plupart des malgaches au regard de leur pouvoir d’achat... et donc une situation de carence alimentaire aggravée. La période de soudure se traduit donc par une période de spéculation et de hausse des prix, particulièrement du riz l'aliment de base de chaque malgache.
En quoi Esperanza et les sites que nous accompagnons sont concernés et agissent pour aider les populations ?
- nos implantations, toutes loin de Tana et en zones rurales, sont au milieu de ces populations vulnérables.
- la période sensible du kere s’est étendue et couvre généralement les mois d’octobre à avril
- la première action est la précaution : l’achat par anticipation des récoltes de riz pour sécuriser au meilleur prix l’alimentation de nos cantines scolaires et centres nutritionnels
- la seconde action est (par exemple à Ambinanindrano) l’assistance aux paysans en les amenant à stocker dès la récolte une part de leur riz dans des silos communautaires afin de disposer d’une réserve qu’il pourront réutiliser en période de soudure. Il vendent alors leur riz lors du stockage au cours du moment, et le « rachètent » au stockage au même prix (majoré d’un modeste coût de frais de stockage) plusieurs mois plus tard, ne subissant pas ainsi la hausse des prix qui caractérise la soudure. Ils peuvent alors consommer pour partie et mieux valoriser ce « riz épargné ».
- notre troisième action que est l’enrichissement de l’alimentation des enfants particulièrement dans cette période sensible dans laquelle, plus encore que le reste de l’année, pour la plupart d’entre eux le repas de midi pris à la cantine scolaire ou au centre nutritionnel sera le seul repas de la journée. C’est donc dans cette période du kere que, grâce au projet Fanantenana, nous avons positionné deux des trois périodes de « cures » de spiruline de chacune sept semaines : en octobre/novembre, puis en janvier/février.
Au-delà de ces modestes palliatifs, le véritable enjeu serait de développer la formation des paysans (sans même parler à ce stade de mécanisation), avec par exemple une systématisation des la méthode du SRI (système de riziculture intensive), mis au point en 1983 par le père jésuite Henri de Laulanié qui permet d’atteindre de 11 à 15 tonnes à l’hectare. Il s’agit là d’une technique qui malgré son nom n’a rien à voir avec l’agriculture intensive à l’occidentale, mais qui s’appuie sur les méthodes et pratiques d’une agriculture totalement biologique et sans produits chimiques. A ce jour seulement 200 000 agriculteurs malgaches sur les 12 millions estimés pratiquerait ce SRI (le plus souvent grâce à l’accompagnement formation apporté par des ONG comme Codegaz ou Action Contre la Faim. Les malgaches l’appellent avec une belle expression « Maro Anaka » (« le riz qui a beaucoup d’enfants »).
Philippe Thirion
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